Le mystère des perles
Je tenais à vous parler du mystère des perles qui fait leur infinie poésie … La famille des « cœur blanc » en est l’occasion.
Le travail de reconstitution de l’histoire d’une perle est un labyrinthe sans fin aux multiples ramifications : sociales, culturelles, historiques, esthétiques … ces nombreuses portes d’entrée, l’intimité qu’elles entretiennent avec les cultures, les divers lieux de fabrication, la fabrication séculaire continue que certaines ont connu, les innombrables routes qui les ont fait voyager … font la complexité de leur narration. Le travail de recherche pour connaître l’histoire d’une perle demande de réunir la raison de l’adulte à l’âme de l’enfant, les qualités de détective à celui de conteur.
Qui ne supporte pas que l’imaginaire embrasse le réel ne peut entrer dans ce métier qui est le mien…
Heureusement, les livres sont là pour nous aider à remonter le fil des énigmes. Pour les résoudre, trois livres me sont essentiels:
Vous pouvez je crois tous les trouver, non pas sur Amazon, hein, qui détruit la société à coup d’intelligence artificielle, mais sur https://www.lalibrairie.com la librairie en ligne qui défend les libraires indépendants.
« Le Livre des perles » de Lois Sheer Dubin
« Perles d’Afrique » de Marie-Françoise Delarozière, une femme extraordinaire de poésie (comment ne pas l’être quand on aime les perles), ma bible éternelle, aux dessins fantastiques et aux textes emplis d’énigmes, mais aussi autant de réponses que d’énigmes!
En enfin, « Perles de troc… » de Guy Maurette et Marcia de Castro, qui retrace 1000 ans d’histoire commerciale…
… Mais commençons.
Les perles à cœur blanc
. Provenance et histoire.
Dans leur plus simple apparat, ces perles de verre composite enroulé présentent deux couleurs de base (rouge et blanc ou rouge et jaune paille) et lorsqu’elles revêtent des fleurs ou des petits pois, présentent en polychromie. Certaines, comme celles aux décoration florales, sont rehaussées d’aventurine, ou même parfois d’or!
Elles ont pour nom ‘Cornaline d’Alep’. Des perles de verre fabriquées à Venise, portant le nom d’une pierre semi-précieuse d’une ville de Mésopotamie … Allons bon !?
On lit et on dit souvent que les verriers d’Alep sont les premiers à avoir découvert la fabrication de ce verre au rouge ambré et profond, qui lui donne des airs de cornaline.
Il serait obtenu (toujours au conditionnel, suiviez bien) en ajoutant des sels de selenium aux autres ingrédients qui composent le verre. D’où leur nom de Cornaline d’Alep… Logique !
Une certitude : la fabrication de ces perles est très ancienne puisqu’elle a accompagné l’exploration et la colonisation européenne en Afrique, en Asie et en Amérique depuis le 18e: les plus petites apparaissent au côté de leurs sœurs tubulaires sur les tableaux des marchands de l’époque coloniale à la page des perles négociées contre l’huile de Palme. (Cf Le livre des perles » p109)… Oui regardez bien, on les voit 1ere colonne, 3e rangée en partant du bas. Ces perles, les plus courantes, ont inondé le monde durant des siècles, étaient fabriquées à Venise (Murano) au 19e mais aussi en Tchécoslovaquie (Bohème). Elles étaient aussi troquées contre des journées de travail ou contre de l’ivoire…
Culture et prophylaxie
En Afrique, on trouve toute les catégories de la famille des « cœurs blancs » et ce chez les Berbères, les Kirdis, les Peuls, mais aussi les Bamouns, les Bassaris qui en font grand usage dans des colliers. Ces perles ont autant de nom que d’ethnies qui les utilisent, chacune les nommant la plupart du temps – mais ça n’est pas toujours vrai – en fonction de l’usage qu’elle en fait plus qu’en fonction du matériau utilisé ou de sa couleur. C’est ainsi que l’on peut rencontrer, chez les marchands, dans un rang de perles de coquillages blancs, des perles de plastique sculpté de la même manière: quand on n’a plus de coquillage, on n’a plus qu’à sculpter du plastique blanc (que l’on trouve souvent plus facilement jusque dans le désert le plus reculé), qui portera le même symbole que le plus blanc des coquillages… et auront la même valeur, étant faites pour le même usage!
Pour revenir au « cœur blanc » … on appelle en Côte d’Ivoire, les toutes petites, « Rikitti » . Vue leur taille minuscule, elles servent à fabriquer les caches sexe ou à décorer le vêtements….
En même temps que la couleur, elles ont récupéré les fonctions de la Cornaline et sont réputées pour soulager les troubles de la circulation … La boucle est bouclée !
Malheureusement, ou bien heureusement pour moi qui les ai sous les yeux, les costumes se modernisent… et certaines ethnies se mettent à troquer toutes ces perles un peu usées contre des perles neuves que nous apprécions peu, nous occidentaux, parce qu’elles sont trop neuves et brillantes, sans histoire, sans l’énergie des 1001 femmes qui les ont portées…
Me revient le souvenir de cette journée de balade aux alentours de Bamako…Veille de Tabaski, (nom de la fête de l’Aïd en Afrique noire), les femmes se parent de leurs plus beaux atours; elles cousent et tressent leurs perles comme traditionnellement, dans leurs cheveux. Je vois une jeune fille à la chevelure scintillant de couleurs. Émerveillée, je m’approche.. ; Quelle surprise est la mienne en découvrant les mille et unes perles de plastique qui ornent sa tête !!
Je suis triste et mélancolique quand je pense au phantasme de la modernité de nombreuses personnes du continent africain. Bien sûr, ils cherchent le confort et les produits de la vie moderne. Nous en avons bien usé et abusé par chez nous… Dans les grandes villes où les jeunes affluent pour trouver argent et eau fraiche, la Chine règne en maître sur les marchés, autant qu’en brousse la plus reculée… Et pourtant, je contribue à ce phénomène de dépouillement culturel et patrimonial: par attrait pour l’histoire, pour le plaisir de sauvegarder la beauté et l’unicité de l’artisanat populaire, je rachète ces perles qui avaient été vendues à prix d’or, d’ivoire ou d’hommes par nos ancêtres…. et enlève, d’une certaine manière, et même si c’est infime, cette beauté à l’Afrique. Je me console souvent en pensant qu’avec ou sans moi, ce phénomène social et historique se joue bien au-delà de ma petite personne. Alors, je continue à faire vivre ces perles d’amour, sur le cou des femmes qui veulent bien les porter. <3
Retrouvez les grigris avec des « coeur blanc » ici ou encore ici et ici ou ici